Le secteur de la pêche fortement impacté par la pandémie
La crise liée à l’épidémie de Coronavirus a fortement impacté le secteur de la pêche en Europe. Celui-ci a été marqué par les mesures de confinement qui ont empêché certains pêcheurs d’exercer leur activité mais plus encore par une crise de la demande liée à la fermeture des criées, des restaurants et des marchés de producteurs, ainsi qu’aux changements des habitudes de consommation des européens et à la réduction de la demande internationale. Cette chute de la demande a entraîné une chute des prix.
D’importantes chutes dans les ventes de produits de la mer ont été enregistrées au plus fort de la crise (près de 80% à Rungis). Si les ventes de poisson ont augmenté depuis, celles-ci n’ont toujours pas retrouvé leur niveau habituel.
Cette situation place les dizaines de milliers de pêcheurs européens et toute la filière des produits de la mer dans une situation économique et sociale critique. Elle a contraint certains pêcheurs à vendre leurs produits à un prix dérisoire, les empêchant de rentabiliser leurs sorties en mer et les condamnant à rester à quai.
La crise liée à l’épidémie de Coronavirus n’impacte pas tous les pêcheurs de la même façon. Les petits pêcheurs dont les marchés locaux constituent habituellement le principal débouché ont été les plus impactés. Les pêches à forte valeur ajoutée, comme la pêche au homard par exemple, et les plus dépendantes des exportations ont aussi été particulièrement touchées. Au contraire, les plus gros navires ont moins souffert sur le plan économique. Ces navires partent en effet pour de plus longues périodes et pêchent de très grandes quantité de poisson qu’ils transforment ou congèlent immédiatement. Ils les revendent ensuite essentiellement à la grande distribution et sont donc moins impactés.
Il faut s’assurer que pendant la durée des mesures de confinement, la pêche artisanale puisse avoir accès aux circuits de distribution qui sont maintenus. Les états et les collectivités locales doivent faire en sorte qu’ils aient accès à des chaînes de distribution alternatives jusqu’à ce que leurs chaînes de distributions habituelles puissent rouvrir.
Si une reprise de l’activité le plus rapidement possible est souhaitable, celle-ci ne peut pas se faire aux détriments de la sécurité et de la santé des marins et des pêcheurs. Les métiers de la mer impliquent souvent une proximité, voire une promiscuité, difficilement évitable. Les patrons-pêcheurs doivent s’engager afin de garantir la sécurité des marins embarqués, notamment sur les plus grands navires comme les thoniers. Les états doivent contribuer à maintenir les salaires des marins comme de l’ensemble des salariés de tous les secteurs pour limiter les impacts sociaux de la crise, par exemple via des mécanismes de chômage partiel.
Les mesures mises en place pour lutter contre l’épidémie de Covid-19 posent aussi un problème pour l’accès de la main d’oeuvre saisonnière habituellement embauchée dans le secteur, y compris dans la conchyliculture. Il est important que les états organisent l’accès en toute sécurité des saisonniers aux lieux de productions pour qu’ils y soient embauchés.
Une réponse européenne nécessaire mais à affiner
Pour lutter contre les effets de la crise, l’Union européenne a agi massivement. Deux paquets de mesures adoptés en mars et en avril 2020 ont permis de débloquer des fonds issus du FEAMP (Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche) et donner plus de flexibilité dans leur usage. D’autres fonds européens ont été redirigés vers la gestion de la crise du Covid-19, permettant au secteur de la pêche d’accéder à ces enveloppes. Par ailleurs, les règles en matière d’aides d’état ont été temporairement assouplies pour donner la possibilité aux États membres de venir en aide aux pêcheurs en difficulté.
Ces mesures sont nécessaires, les député-e-s Verts/ALE se sont battus pour qu’elles puissent rapidement être mises en oeuvre mais aussi pour qu’elles soient ciblées et limitées dans le temps. Il est important que les pêcheurs les plus impactés, notamment les petits pêcheurs artisanaux, soient ceux qui bénéficient de ces aides exceptionnelles. Le ciblage doit permettre d’éviter que ces aides d’urgence constituent des subventions néfastes, c’est-à-dire des subventions qui contribueraient sur le long terme à la surpêche.
L’Union européenne a aussi mis en place des mesures visant à faciliter le stockage des produits qui ne trouvent pas preneurs. Ces mesures doivent être limitées en volume et il faudra veiller à ce que la remise sur le marché des produits congelés après la crise ne vienne pas à nouveau déstabiliser le marché en produisant une nouvelle chute des prix.
La crise du Covid-19 ne doit pas conduire à perdre de vue les objectifs de la Politique Commune de la Pêche, notamment le besoin d’atteindre la durabilité du secteur. Les difficultés rencontrées par le secteur de la pêche ne doivent pas servir de prétexte pour prolonger des périodes de pêche ou relever les quotas des saisons suivantes, au delà des flexibilités prévues par la PCP ou à rebours des recommandations scientifiques. Il est important que les collecte de données, les mesures de suivi et de contrôle des pêches soient maintenues, via l’accueil des observateurs internationaux et des inspecteurs dans de bonnes conditions lorsque cela est prévu par les texte, mais aussi via le déploiement des mécanismes de contrôle des pêche à distance.
Les négociations sur le futur FEAMP (2021-2027) ne doivent pas être influencées par les mesures extraordinaires. Il doit y avoir une différence claire entre, d’une part, les mesures exceptionnelles prises qui aideront le secteur à traverser cette période difficile et permettront aux entreprises de survivre et, d’autre part, les règles et les subventions pour la prochaine période de 7 ans du nouveau FEAMP.
Nous devons veiller à ce que le futur FEAMP contribue aux objectifs de la politique commune de la pêche, à savoir protéger les écosystèmes et promouvoir une pêche véritablement durable, en aidant les pêcheurs qui en ont le plus besoin et en réduisant la charge administrative, sans créer de subventions néfastes qui entraîneraient une surcapacité et une surpêche.
Face à la crise, repenser la pêche de demain
La crise a souligné les faiblesses et les inégalités dans le secteur de la pêche. La pêche de demain doit s’appuyer sur des transformations systémiques pour prévenir les futures crises à venir, qu’elles soient sanitaires mais aussi environnementales, sociales et économiques. La mondialisation sans limites place les pêcheurs dans des situations de dépendance et de vulnérabilité accrue.
Cette période difficile est l’occasion de repenser les chaînes de distribution. Comme dans l’agriculture, développer les circuits courts et de la vente directe est nécessaire pour bâtir des politiques alimentaires plus résilientes. Il semble important de revaloriser la consommation locale de certains produits de la mer issus de pêche durable au lieu de chercher à les exporter hors de l’Union européenne.
La crise a aussi montré la vulnérabilité de l’aquaculture intensive. Alors que celle-ci est souvent présentée comme une solution pour garantir la sécurité alimentaire et lutter contre la surpêche, la crise a souligné leur dépendance vis-à-vis des farines de poisson. Une part de plus en plus importante de celles-ci sont en effet importées depuis des pays en développement comme par exemple le Sénégal et la Mauritanie où elles déstabilisent le secteur de la pêche. Le développement de l’aquaculture doit se faire de manière durable, en privilégiant des structures au faible impact environnemental, notamment en ce qui concerne l’impact de la production de farines de poisson sur les océans.
Les pays en développement souffrent encore plus durement des mesures de lutte contre le Coronavirus. Nous devons veiller à ce que le secteur de la pêche européenne, y compris celle pêchant dans le cadre d’accords de pêche, ne mette pas en danger les ressources halieutiques et la sécurité alimentaire des pays en développement.
La crise a aussi souligné les inégalités entre pêche artisanale et pêche industrielle. Alors que les petits pêcheurs étaient contraints de rester à quai, les plus gros navires continuaient de pêcher, usant souvent de techniques de pêche destructrices. Cette inégalité face à la crise pose des questions plus générales de justice entre petits et grands navires. Ces derniers concentrent déjà une trop grande partie partie du quota, s’affranchissent de certaines règles décidées nationalement et mettent en péril la ressource halieutique. Largement soutenus financièrement, ces navires-usines pourront passer la crise sans difficulté.
Il est nécessaire que l’action publique soutienne les acteurs de la pêche impactés, comme les petits pêcheurs artisans qui sont parmi les plus vulnérables. Sur le moyen-terme, il est important qu’une répartition des quotas de pêche plus juste soit mise en place, conformément à l’Article 17 de la Politique Commune de la Pêche. Les petits pêcheurs qui innovent et limitent leur impact sur l’environnement représentent le futur de la pêche, un secteur plus résilient et durable.
Enfin, il est important de poursuivre la lutte contre la surpêche et pour un environnement marin sain, via la mise en place de mesures de gestion plus ambitieuses, la lutte contre les différentes sources de pollution des eaux et la mise en place d’aires marines protégées efficaces et renforcés. Ces éléments sont cruciaux pour permettre des stocks de poisson en bon état, résilients et capables de fournir du poisson sur le long terme, contribuant ainsi à la sécurité alimentaire en Europe. Les député-e-s Verts/ALE s’engagent à défendre ces mesures qui doivent permettre à la fois le bon état de l’environnement marin et la pérennité de la pêche (ressources abondantes, revenus décents, etc)
Grace O’Sullivan, Francisco Guerreiro, Caroline Roose, Benoit Biteau et Ska Keller, membres de la Commission Pêche au Parlement européen, pour le groupe Verts-ALE