Le 21 février 2023, la Commission européenne a publié son plan d’action pour la conservation des ressources halieutiques et la protection des écosystèmes marins. Ce document n’est pas une loi et ne crée donc pas de nouvelles obligations pour les États membres ou les pêcheurs. Pourtant, il a fait l’objet d’une immense levée de bouclier, orchestrée par les lobbys de la pêche industrielle et avec la complicité du gouvernement français.
Ce plan recommande aux États membres une série d’actions pour mieux protéger les écosystèmes marins. La Commission européenne demande par exemple aux gouvernements de mettre en place les mesures nécessaires d’ici fin 2023 pour réduire les captures accessoires de dauphins du Golfe de Gascogne dans les filets de pêche (voir article dédié). Mais c’est la demande de la commission européenne d’interdire le chalutage de fond dans les aires marines protégées qui a déclenché la furie des lobbys de la pêche industrielle.
Le chalutage de fond est une technique de pêche qui consiste à traîner de lourds filets lestés sur les fonds marins. Elle contribue à la destruction d’habitats des fonds marins essentiels à la biodiversité marine, à de nombreuses prises accessoires d’espèces sensibles, consomme d’importantes quantité de carburant et conduit à d’importantes émissions de CO2.
Dans son plan d’action, la Commission estime que cette technique de pêche ne devrait pas être autorisée dans les aires marines protégées. Ce faisant, elle reprend une proposition que j’avais faite lors du vote d’un rapport sur l’économie bleue en mai 2022. Elle avait alors été rejetée à une quarantaine de voix près. C’est un sujet important. La majorité des aires marines protégées en Europe ne sont protégées que sur le papier. 60% d’entre elles subissent encore le chalutage de fond. En France, seul 1,6% de l’espace maritime bénéficie d’un haut niveau de protection, et moins de 0,1% en Méditerranée.
Se sentant menacés, les lobbys de la pêche industrielle ont orchestré une grande mobilisation et ont enchaîné les fake news et les approximations. Ils ont dit que la Commission souhaitait imposer cela par la force, alors qu’il s’agissait seulement de recommandations. Ils ont raconté que la mesure condamnerait le tiers de la flotte française. Leur discours a été largement relayé par Hervé Berville, le secrétaire d’État à la mer, sans aucune prise de distance.
Le malaise chez les pêcheurs était réel. Dans un contexte marqué par la hausse des prix des carburants et les conséquences du Brexit, certains ont vu dans ce plan d’action la goutte de trop et ont exprimé leur ras-le-bol.
Il faut dire que, depuis plusieurs années, le gouvernement a multiplié la création d’aires marines protégées de papier, pour donner l’impression que la France atteignait les objectifs de protection des océans fixés au niveau international. L’emplacement de ces aires marines protégées n’avait fait que rarement l’objet de concertation avec les pêcheurs et le gouvernement leur avait promis qu’aucune restriction de pêche n’y serait mise en place. Une vraie opération de greenwashing. Y interdire le chalutage de fond du jour au lendemain aurait été lourd de conséquences pour les pêcheurs.
Au lieu de se dire “totalement, clairement et fermement opposé” au plan d’action, comme l’a clamé le ministre Hervé Berville, le gouvernement aurait pu en profiter pour proposer un vrai plan pour entamer la transition de la flotte française vers des techniques à plus faible impact. En effet, pour que l’interdiction du chalut de fond dans les aires marines protégées n’entraîne pas de casse sociale, il faut anticiper la transition, inciter et aider les pêcheurs qui utilisent des chalutiers à adopter des techniques moins impactantes. Le scientifique Didier Gascuel propose par exemple d’amorcer un plan de “déchalutisation” progressif et planifié à horizon 2050, qui donnerait de la visibilité et permettrait de réinvestir dans d’autres méthodes de pêche au moment du renouvellement générationnel. Au lieu de cela, le gouvernement d’Emmanuel Macron a fait preuve, une fois de plus, de son incapacité à prendre à bras le corps les défis auxquels le secteur de la pêche va faire face et à faire preuve de courage politique.