Cet hiver, des centaines de dauphins se sont échoués sur les côtes françaises: du jamais vu ces dernières années. Pourquoi ? Parce que les dauphins se coincent dans les filets pendant des heures et meurent d’asphyxie. Les scientifiques estiment que les populations de dauphins communs sont en danger avec des taux de mortalité de plus en plus importants, les menaçant d’extinction au moins au niveau régional dans le golfe de Gascogne.
C’est pourquoi, fin février, j’ai décidé de me rendre sur la côte Atlantique, dans le Golfe de Gascogne, au côté de l’ONG Sea Shepherd pour constater la situation de mes propres yeux, à quelques jours d’une décision de justice cruciale pour l’avenir des dauphins.
L’inaction du gouvernement français
Déjà dans la ligne de mire de la Commission européenne, le gouvernement français s’obstine à ne pas prendre de mesures suffisantes pour limiter les captures de cétacés. En 2020, puis en janvier 2023, les scientifiques du Conseil International pour l’Exploration de la Mer (CIEM) ont publié des avis recommandant la fermeture temporaire des pêcheries dans les zones de pêches concernées au moment des pics d’échouages, en complément de l’équipement de répulsifs acoustiques sur les engins de pêche appelés “pingers”. En juillet 2020 la France a été mise en demeure par la Commission européenne pour non-respect de la législation européenne. En juillet 2022, la Commission lui a donné deux mois pour prendre des mesures. Or, nous sommes en 2023 et les avancées sont insuffisantes.s.
Ma mission dans le golfe de Gascogne
En parrallèle, des associations ont lancé une procédure devant la justice française. Le 24 février 2023, le Conseil d’État français a auditionné les associations France Nature Environnement, Sea Shepherd et Défense des milieux aquatiques sur la légalité des mesures prises par la France pour limiter les captures accidentelles de dauphins dans le Golfe de Gascogne.
C’est dans ce contexte que pendant la nuit et le matin du 23 février, j’ai pris la mer avec Sea Shepherd pendant plusieurs heures. Ce que j’ai vu était très marquant. Après 2 h de navigation dans la nuit, nous avons observé un premier bateau qui remontait environ 6 km et qui a remonté un dauphin mort. L’équipage de Sea Shepherd s’est présenté à la radio et le pêcheur a été très conciliant: il a laissé le cadavre du dauphin s’échapper du filet pour que nous puissions le récupérer. Il nous a ensuite donné une bague afin de pouvoir le déclarer comme capture accessoire.
Nous avons ensuite observé la remontée des filets d’un second navire et découvert un deuxième cadavre de dauphin. Le pêcheur, contrairement au premier, n’a pas été accommodant. Il n’a pas répondu aux appels radio. Il a viré de bord et a fait en sorte que le dauphin tombe du filet et s’est en allé. Nous avons récupéré le cadavre: c’était une femelle en gestation. Suite à l’autopsie faite sur les dauphins, nous avons appris que le petit que portait la femelle était viable. Ces drames sont quotidiens pendant l’hiver.
Le lendemain, le 24 février, jour de l’audition devant le Conseil d’État, nous nous sommes rendus à Nantes pour exposer les dépouilles des dauphins récupérés morts la veille et échanger avec les passant·e·s.
Une décision historique du Conseil d’État
Quelques jours plus tard, le Conseil d’Etat a demandé à l’État de mettre en place des fermetures temporaires de zones de pêche dans le golfe de Gascogne pour protéger les dauphins. La plus haute juridiction administrative française estime que les mesures prises jusque-là “ne permettent pas de garantir un état de conservation favorable des espèces de petits cétacés”. Il ordonne donc au gouvernement “de prendre des mesures de fermeture de la pêche appropriées sous six mois, en complément des dispositifs de dissuasion acoustique”. Une victoire pour les cétacés, permise par le recours des ONG.
Cependant, dans un communiqué publié le lendemain, le gouvernement a simplement indiqué “prendre note de cette décision”, poursuivre les mesures entreprises jusque là mais n’évoquait à aucun moment l’adoption de fermetures temporelles telles que demandées par le juge.
Le gouvernement préfère repousser sans cesse le moment d’agir, plutôt que d’anticiper les moyens d’indemniser et d’accompagner les pêcheurs·euses. Ces derniers sont conscients du problème – et ne capturent pas les dauphins par plaisir. L’état doit aussi aussi enfin soutenir la transition vers des techniques de pêche à faible impact et obtenir de meilleures informations sur l’effort de pêche dans la zone. Ces mesures permettront d’apaiser la situation et d’arrêter d’opposer défenseurs de l’environnement et pêcheurs, alors que toutes et tous partagent le même objectif à long terme, celui d’avoir des océans en bonne santé et garantir un futur à la pêche.
Attendre pour agir, c’est simplement reporter des mesures inévitables, augmenter les coûts futurs de l’action, et continuer de foncer droit dans le mur.